Il y a la bonne méthode... et il y a les mauvaises. Passée la vague d’orages de mai et juin, il nous semble utile de détailler comment aborder cette problématique qui frappe d’autant plus fort qu’il se passe très peu de temps entre la pluie qui tombe et l’arrivée de la coulée de boue en ville, ne permettant pas aux services publics et aux riverains de s’organiser à temps.
Toute d’abord, le ruissellement n’est peut-être qu’une partie du problème, le réseau pluvial pouvant être sous-dimensionné. Des flots importants ne peuvent être retenus sur les versants avec pour objectif de ne restituer en ville que quelques litres par seconde. C’est pourquoi le diagnostic initial doit considérer l’ensemble des problématiques jusqu’à l’exutoire des effluents. Il peut aussi être plus simple de protéger un ou deux enjeux urbains plutôt que de déployer des centaines de mètres de haies ou créer des bassins tampons.
S’agissant spécifiquement de la problématique des ruissellements, provenant souvent de terres agricoles, le recours à un bureau d’étude qui "sait faire" est souvent le premier réflexe. Il s’ensuit une étude coûteuse et longue, la phase de diagnostic s’appuyant sur des témoignages, des interviews qui sont d’autant plus long à quérir et analyser que le bureau d’études se déplace de loin. Or dans ces affaires, la prise en compte de la problématique locale est primordiale : la connaissance des fossés et de leur état, des assolements, de facteurs aggravants comme de la végétation et des flottants qui viennent colmater un grillage etc., sont autant d’éléments qui influent sur les écoulements et doivent être intégrés dans les réflexions.
De cette démarche d’étude, découle un rapport volumineux proposant un programme ambitieux et coûteux. De telles études sont très souvent vouées à garnir une étagère car elles embarquent un certain nombre de contraintes rédhibitoires. Tout d’abord, le programme de travaux fait supporter sur les parcelles agricoles l’ensemble des impacts des ouvrages, de sorte que cette profession se sent montrée du doigt ; si certaines pratiques peuvent être améliorées, l’agriculteur n’est néanmoins pas responsable de la pluie qui tombe. Il n’a pas non plus intérêt à retrouver sa terre fertile dans les rues du village.
Ensuite, les préconisations ne sont pas concertées avec les agriculteurs, tandis que ceux-ci ont des contraintes (accès aux parcelles, manoeuvrabilité) ; et dans l’ensemble des choix possibles, certains peuvent être mieux acceptés sans pour autant avoir été proposés par le bureau d’études. Le sentiment d’une étude péremptoire réalisée par des ingénieurs "étrangers" au territoire est un frein sensible à l’acceptabilité. Dès lors que l’étude est critiquée, la mise en œuvre devient très hypothétique.
Enfin, il manque le plus souvent le maître d’ouvrage qui va porter la phase de travaux. Le programme souvent onéreux (300 000 € de travaux pour une problématique à l’échelle d’une commune n’est pas rare) suppose des accords amiables agricoles (pas gagnés) et des accords sur l’entretien pérenne des plantations (pas gagnés non plus). En outre, des procédures complexes sont à mettre en place avant de passer aux travaux. Un dossier de déclaration d’intérêt général (DIG) doit rassembler de nombreuses informations techniques et administratives, donner lieu à des questions réponses avec les administrations, puis à une phase d’enquêtes publiques, enfin recevoir un arrêté préfectoral.
Le maire, souvent le maître d’ouvrage auto-désigné, se sent désemparé, et on le comprend, lorsque la commune rurale ne possède pas de services rompus aux dossiers administratifs. Et pour achever les bonnes volontés, il n’est pas rare que la coulée de boue qui souille la commune, vienne... de la commune voisine sur laquelle le maître d’ouvrage n’est donc pas compétent.
Toutes ces raisons font qu’il est hélas très probable qu’après la volonté d’agir qui se dégage ces jours-ci, le soufflet ne retombe et dans un an, très peu d’actions seront engagées. De notre expérience, certains territoires disposent d’une ou de plusieurs études restées lettres mortes depuis de nombreuses années.
Alors que faire ?
Par pragmatisme, l’Entente a abordé la question par des contacts avec les chambres d’agriculture. Des principes solides se sont dégagés : l’agriculteur qui concède une haie sur son terrain, perd une partie de son outil de travail, il est alors normal qu’il reçoive une compensation. L’Entente accepte, moyennant un engagement agricole à conserver la haie pendant vingt ans, de financer chaque année la récolte qui ne sera pas réalisée sur l’emprise. De même, l’entretien est conventionné (soit l’agriculteur taille la haie lui-même et est rémunéré forfaitairement, soit il laisse le libre accès à une entreprise mandatée par l’Entente).
La complémentarité entre des actions sur l’agriculture et des actions sur les enjeux (capacité d’écoulement en milieu urbain, protection de quelques enjeux les plus vulnérables) conduit à une répartition qui démontre que l’agriculteur n’est pas considéré comme le coupable à vilipender.
Surtout, la démarche d’étude est conduite en régie sur la base d’un dialogue permanent avec les agriculteurs, pour écouter leurs contraintes, bénéficier de leur connaissance précise du terrain et convenir ainsi d’un dispositif acceptable. L’accompagnement de la Chambre d’agriculture en complément des partenariats évoqués plus haut, est un atout pour installer la confiance. Il en résulte des programmes de travaux mieux équilibrés et souvent moins onéreux. Surtout, la démarche va à son terme.
Tandis que les maires et les populations réclament des solutions, il est important de rappeler quels sont les trois ingrédients pour espérer des travaux rapides :
1/ Il faut un maître d’ouvrage en capacité.
2/ Il faut conduire une démarche globale ruissellement / pluvial / protection des enjeux.
3/ Il faut dérouler une démarche agricole pragmatique.
Nous rappelons que l’Entente peut recevoir la compétence ruissellement de toute collectivité en tant que syndicat mixte à la carte ; par pragmatisme, elle n’accepte pas les adhésions des communes (au vu de son périmètre : 1800 communes dans le bassin de l’Oise) mais propose de recevoir les EPCI ou les départements parmi ses membres.