Encore un peu plus d’agitation à prévoir chez les gestionnaires de digues : si la compétence GEMAPI a obligé les gestionnaires à classer les ouvrages de protection, le Décret 2015–526 du 12 mai 2015 limitait la liste des ouvrages concernés aux digues dont la hauteur en pied, côté protégé, atteignait 1,50m quelque part sur son linéaire. De plus, 30 personnes au moins devaient être protégées par ce dispositif, de sorte que les systèmes d’endiguement "gemapiens" étaient relativement peu nombreux. Ceci dit, la responsabilité des autres digues n’était pas très claire : l’autorité gemapienne devait-elle se positionner et gérer ces ouvrages, ou bien devaient-ils rester sous le régime de droit commun (responsabilité du propriétaire pour les dommages aux tiers) ?
Le Décret 2019–895 du 28 août apporte des modifications assez substantielles au dispositif, puisque deux évolutions notoires s’imposent aux collectivités à effet du 31 août :
D’une part, le seuil de 1,50m est supprimé. Il s’ensuit que tout ouvrage de protection, quelle que soit sa hauteur, est constitutif d’un système d’endiguement. Dès lors, le gemapien est devant l’alternative : soit il classe l’ouvrage, soit il l’arase. La procédure de classement sera vraisemblablement préférée à la remise en zone inondable des populations jusqu’alors protégées. Le dossier de classement embarque une étude de danger, qui sera suivie d’une visite technique approfondie susceptible de conduire à des travaux de confortement.
La tentation, pour les petits ouvrages, de "faire le mort" en espérant que tout le monde les oublie, évitant ainsi la démarche administrative pour une digue que l’on espère robuste au regard de sa faible hauteur, pourrait se faire jour. Elle est toutefois à écarter sans hésitation : une digue classée exonère son gestionnaire de la responsabilité pour les dommages que l’ouvrage n’a pu éviter (article R562–14 du Code de l’environnement).
Par ailleurs, l’étude de danger, préalable au classement, prévoit des seuils de vigilance et d’alerte, et des mesures d’information, voire d’évacuation de la population en cas de dépassement de l’ouvrage. En l’absence de telles mesures, le recours des tiers en cas de sinistre est à craindre.
D’autre part, le seuil de population, pour les ouvrages conçus antérieurement au 12 mai 2015, est lui aussi abrogé. Jusqu’alors, les digues n’étaient classables que si au moins 30 personnes étaient protégées. Dorénavant, pour les ouvrages antérieurs au 12 mai 2015, le seuil a disparu, de sorte que tout ouvrage est à classer, quelle que soit sa hauteur et quelle que soit la population protégée. De nombreux ouvrages rentrent automatiquement dans le dispositif réglementaire du fait de cette double mesure.
Pour des ouvrages conçus ultérieurement (et des ouvrages futurs), le seuil de 30 personnes s’applique. Ainsi, il n’est pas possible, pour un gemapien, de construire une nouvelle digue de protection bénéficiant à moins de 30 personnes. Il peut le faire au titre d’un remblai en zone inondable, qui ne pourra pas prétendre au classement. Le gestionnaire ne pourra dès lors pas bénéficier de l’exonération de responsabilité au titre du R562–14 évoquée plus haut.
Ce décret porte donc un coup sévère aux gemapiens qui, au terme de 20 mois seulement de compétence effective, travaillent dur à conventionner, inventorier, étudier, conforter les systèmes d’endiguement relevant des anciens seuils. La généralisation à tous ouvrages démultiplie le gisement, oblige à des inventaires sans fin et va saturer tant les services des collectivités que les services de contrôle des DREAL. Nous n’avons sans doute pas fini d’en parler.