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Décret PPRi : les décrets se télescopent...

A l’orée de l’été, l’Etat publiait un décret relatif aux plans de prévention des risques d’inondation (PPRi) et de submersion marine, visant à homogénéiser les pratiques des services déconcentrés de l’Etat en matière d’élaboration des cartes d’aléa et des règlements.

Le décret n°2019–715 du 5 juillet 2019 précise notamment différentes notions sur l’aléa de référence et les zonages induits.

Ainsi, la pratique courante de retenir comme aléa de référence la crue centennale ou le plus fort événement connu s’il lui est supérieur, est dorénavant obligatoire. Le zonage doit ensuite prévoir quatre niveaux de risque : faible, moyen, fort, très fort, chacun ayant son lot de prescriptions.

Les systèmes d’endiguement classés font leur entrée dans le dispositif de zonage, et ce point nous interpelle particulièrement. Tout système d’endiguement classé induit une "bande de précaution" derrière la digue, d’une largeur de 100 fois la hauteur d’eau maximale derrière la digue, cette dimension pouvant être réduite dans l’étude de danger du système d’endiguement. Cette bande de précaution est obligatoirement classée en aléa "très fort", ce qui condamne toute construction nouvelle. En effet, le décret n’autorise, dans les zones d’aléa fort ou très fort, que des mesures de renouvellement urbain qui réduiraient la vulnérabilité du territoire.

Mais la bande de précaution contraint fortement le territoire ; est-ce bien la volonté du ministère ? analyse en deux actes.

 

Premier acte : des mesures de précaution légitimes

Au moment de la publication de ce décret (juillet 2019), une digue classée mesure au moins 1,50m de haut, de sorte que sa rupture conduirait à des courants soudains et d’une hauteur sensible. La rupture, par exemple par création d’une brèche, — probable là où la charge est la plus importante soit au droit de la plus grande hauteur — induit un remplissage rapide, avec de forts courants, sans anticipation des populations qui se croient protégées. Il s’ensuit un fort risque sur la vie humaine.

Ceci dit, le décret, qui introduit pertinemment la notion de "lieux de sommeil", pourrait faire la distinction entre un garage et un habitat.

Bref, à ce stade cette position se défend.

 

Deuxième acte : l’abrogation des seuils de classement

Le 28 août 2019, un autre décret abroge les seuils de 1,50m et 30 personnes protégées de sorte que toute digue de protection doit être classée, quelle qu’en soit la hauteur. Nous avons déjà commenté ce décret dans un précédent billet.

Du coup, le décret sur les PPRi, qui vise les "systèmes d’endiguement autorisés", voit sa portée étendue aux digues de faible hauteur. La notion de vague destructrice et de forts courants perd alors de sa pertinence pour les petits ouvrages.

 

Prenons l’exemple d’une digue de faible hauteur qui protège un quartier de la crue centennale. En l’absence de digue de protection, ledit quartier serait classé en aléa faible. Les habitants pourraient prétendre à des permis de construire moyennant des prescriptions légères (rehausse de la cote de plancher en général). Mais du fait de la présence de la digue, l’aléa très fort condamne tout projet, y compris des extensions comme les vérandas et les garages. Comment expliquer à un riverain que les prescriptions qui s’appliquent sont beaucoup plus contraignantes parce qu’il est protégé ? Comment expliquer qu’une personne protégée par une digue classée, inspectée par un bureau d’études agréé, contrôlée par les services de l’Etat, surveillée par des services compétents, entretenue par des collectivités dotées d’une compétence spécifique et obligatoire, doit subir des contraintes radicales sur l’urbanisme qu’elle n’aurait pas si elle habitait, "tout simplement", en zone inondable ?

La compétence GEMAPI visait notamment à faire rentrer le parc national de digues dans une démarche vertueuse d’identification de gestionnaires, de diagnostics de travaux de confortement et de pérennisation de leur entretien. Nous ne pouvons que soutenir cet objectif. Mais une fois celui-ci atteint, doit-on de surcroît fustiger les zones protégées pour en faire des zones à risque aggravé ? ou bien faire confiance aux gestionnaires et aux bureaux d’études agréés et ne prévoir, comme mesures particulières dans les bandes de précaution, que des dispositions d’alerte et d’évacuation en cas de risque imminent ?

La rupture d’une digue classée, inspectée et certifiée, lors d’une crue centennale, n’est certainement pas de probabilité 1/100 mais un événement beaucoup plus rare. C’est d’ailleurs une réserve que l’Entente Oise Aisne avait formulée lors de la consultation sur le projet de ce décret qui circulait à l’été 2018 et portée par l’Association française des EPTB (AFEPTB), hélas sans succès.

 

Un troisième acte serait le bienvenu

A ce stade, nous espérons un troisième décret qui modifierait les prescriptions dans la bande de précaution. Soit l’on irait vers des mesures visant à n’interdire que les "lieux de sommeil", soit vers des dispositions de vigilance renforcée et d’évacuation rapide en cas de surverse ou rupture imminentes, ou encore l’introduction d’un seuil de hauteur pour distinguer, en cas de rupture, les courants rapides de hauteur significative des entrées d’eau à conséquences maitrisées.

Quoi qu’il en soit et en l’état du Droit, les prochains PPRi pourraient susciter un certain émoi auprès des populations. Et les projets de nouvelles digues difficiles à faire accepter.

ressources liées

Décret PPRi du 5 juillet 2019
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Décret digues du 28 août 2019
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