Après une pause prolongée, nous revenons sur notre feuilleton relatif aux responsabilités autour des digues. L'article L566–12–1 du Code de l’environnement précise que "les digues sont des ouvrages construits ou aménagés en vue de prévenir les inondations et les submersions". Ainsi, chacun peut s’interroger, pour de nombreux ouvrages, sur l’intention du constructeur. Est-ce qu’une route rehaussée l’a été en vue de prévenir les inondations ? Est-ce qu’un merlon de curage qui longe une rivière et limite les premiers débordements a été réalisé avec cette finalité ?
Dès lors qu’une réalisation est postérieure à la Loi sur l’eau de janvier 1992, celle-ci a été autorisée au titre d’une ou plusieurs rubriques de ladite loi, ce qui permet sans doute d’apporter des précisions utiles. Mais pour les ouvrages plus anciens (la très grande majorité des routes par exemple), l’intention initiale est inconnue.
Dans un premier temps, le gemapien est alors amené à interpréter la situation et il peut se positionner, notamment en refusant d’intégrer l’ouvrage dans ses systèmes d’endiguement. Il décline toute responsabilité sur la gestion et les risques en cas de défaillance de l’ouvrage.
Comme nous l’avons vu dans notre billet précédent, au-delà du 1 janvier 2023, aucun ouvrage non classé ne peut jouer de rôle de protection, de sorte que la DREAL procédera à des mises en demeure des propriétaires pour que ceux-ci procèdent à une mise en sécurité (brèche réalisée ans l’ouvrage de sorte qu’en cas de crue, les niveaux d’eau de part et d’autre s’équilibrent).
Dans un second temps, soit à partir de 2023, la DREAL appréciera le niveau de risque pour l’ensemble des ouvrages non classés. Il est possible que l’appréciation relative au caractère "conçu ou aménagé" diffère de l’appréciation que le gemapien en avait fait, ce qui aura pour conséquence une mise en demeure de mise en transparence avec le retour à la zone inondable pour les personnes auparavant protégées.
Enfin, dans un troisième temps et en cas de défaillance de l’ouvrage, ce pourra être un assureur qui saisira le juge administratif pour que celui-ci apprécie le caractère gemapien de l’ouvrage et, le cas échéant, statue sur la responsabilité du gemapien. Nous rappelons que la responsabilité s’apprécie au regard des "dommages que l’ouvrage n’a pas permis de prévenir", sans préciser s’il s’agit de rupture ou de surverse. Si l’ouvrage concerné est une route, la rupture est peu probable au regard de sa largeur, mais la surverse est toujours possible. C’est pourquoi le risque doit s’apprécier selon ces deux aspects.
Chaque gemapien aura son approche : doit-il être prudent et embarquer tous les ouvrages dans ses systèmes d’endiguement ? ou bien exclure les infrastructures mixtes au motif qu’elles n’ont pas été "conçues ou aménagées" pour prévenir les inondations ? Dans le second cas, les risques sont une remise forcée des populations protégées dans la zone inondable (deuxième temps, à l’initiative de la DREAL) ou la mise en responsabilité par le juge pour défaut de classement et des obligations afférentes (troisième temps, par décision du juge).
L’Entente, soucieuse de la qualité de service apportée à ses membres et aux populations représentées, a opté pour l’approche prudente de classement de tous les ouvrages qu’elle identifie.
... et retrouvez la chronologie de ces billets :
#1 : introduction
#2 : le cas des digues communales
#3 : le cas des digues propriétés d'autres personnes morales de droit public
#4 : divergences sur l'opportunité de reconnaître un système d'endiguement
#5 : le devenir des ouvrages qui ne sont pas classés in fine
#6 : le cas des digues privées
#7 : comment apprécier le caractère gemapien d'un ouvrage de protection
#8 : synthèse