Le risque d’une inondation d’un grand bassin (Seine, Loire, Rhône) n’effraie plus guère que les spécialistes car de tels événements remontent à plus d’un siècle. Tout juste la capitale a frémi en janvier 2018 lorsque la Seine a atteint la cote de 5,84m, un an et demi après une autre crue en juin 2016 à 6,10m. Mais très en-deçà de la crue de janvier 1910 à 8,62m. Nous sommes donc très loin des records. Au-delà du dommage direct (habitats et activités économiques inondés), de nombreux réseaux seraient défaillants. A commencer par l’eau potable puisqu’une crue de la Seine similaire à celle de 1910 priverait environ 5 millions de franciliens d’eau potable, mettant à mal la distribution d’appoint par citernes et conduisant sans doute à des conséquences sanitaires sérieuses. Mais aussi l’électricité, nécessaire à tous les autres réseaux (téléphone, internet, chauffage, éclairage etc.). Les transports aussi (plus de métro, beaucoup d’axes coupés par un lit majeur de plusieurs kilomètres de large).
Ces dernières décennies, la France n’a été confrontée qu’à des crues, certes parfois notoires par leur ampleur ou leur rareté, mais localisées à des bassins de taille petite à moyenne, de sorte que les moyens nationaux ont pu converger sur ces territoires et permettre un retour à la normale assez rapide. Il ne faudrait pas en déduire que le risque d’inondation se réduit à la gestion aléatoire de telles crises pour lesquelles, finalement, le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles permet de se relever sans hypothéquer les réserves assises sur la solidarité nationale.
Le bassin de l’Oise (affluent de la Seine et donc possiblement en crue exceptionnelle en même temps ce fleuve) comprend quatre territoires à risque important d’inondation (TRI) en "brochette" le long de l’Oise, dont l’un en tant que partie d’un TRI d’importance nationale (la métropole francilienne). Le Plan d’actions de prévention d’inondations (PAPI) commun à ces quatre pôles urbains, porté par l’Entente Oise Aisne, comprend un ensemble de mesures selon plusieurs axes, partant du principe qu’un événement majeur ne pourra pas se gérer avec une seule batterie de mesures comme des ouvrages de régulation (qu’il est de plus en plus difficile de réaliser) ou des protections rapprochées (qui ne résolvent des problèmes que pour les uns à l’exclusion — voire au détriment — des autres et qui nécessitent des compensations que l’on ne sait plus trouver). L’approche des ouvrages structurants, qui a beaucoup d’atouts (il est très efficace d’enlever l’eau plutôt que de la subir), trouve ses limites, de sorte que les territoires doivent se préparer à gérer la crise. Et pour s’y préparer, il faut se projeter. Or à très grande échelle, les dommages et les défaillances accumulés induisent d’autres dysfonctionnements : par exemple la pénurie d’eau potable est gérable sur quelques communes mais à l’échelle de plusieurs millions de personnes et des épidémies apparaîtront.
Le PAPI de la vallée de l’Oise embarque ainsi une première action qui consiste à écrire le scénario de la catastrophe avant qu’il ne se produise, ce qui oblige à se projeter et imaginer les défaillances et leurs conséquences, éventuellement en cascade. Et nous manquons d’exemples et de repères. La crise que nous vivons depuis maintenant deux mois en France et dont le plus grand nombre commence seulement à mesurer les conséquences dans son quotidien, nous offre (soyons positif) un exemple grandeur nature que nous nous proposons d’analyser.
Bien évidemment, la crise provoquée par l’épidémie du Coronavirus est très différente de celle créée par une crue centennale de la Seine et de ses affluents : toute la France est à l’arrêt et pas seulement un de ses grands bassins ; les réseaux fonctionnent (à ce stade). Elle présente toutefois certaines similarités avec les conséquences d'une inondation qui méritent d’être examinées : prise de conscience progressive du problème et de son ampleur ; réflexe de constituer des stocks ; opportunisme de certains au détriment du plus grand nombre ; défaillance de certaines filières etc.
Dans le souci de tirer quelques enseignements sur une crise au périmètre maximal, nous nous proposons de capitaliser quelques observations voire des enseignements de la crise qui nous occupe. Nous reviendrons au fil de la crise (dont la durée pourrait être similaire à celle d’une crue centennale de la Seine) pour signaler quelques similitudes et ce que nous en déduisons pour une meilleure anticipation d’une autre crise à venir — inéluctablement : une forte crue d’un grand fleuve français.
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#1 : introduction