Nous profitons du télétravail pour observer l’évolution de la crise qui secoue la planète, avec la déformation de notre œil de gestionnaire du risque d’inondation. Faute de repère sur des gestions de crises d’inondation de grande ampleur, nous sommes preneurs de toute observation transposable à notre métier en vue de mieux se préparer pour un tel sinistre.
En aucun cas nous ne portons d’avis sur les choix effectués. Nous nous contentons d’observer la façon dont les pouvoirs publics gèrent, comment la société s’adapte et comment la population réagit.
Le troisième constat porte — nous ne pouvons pas y échapper non plus — sur le coût économique de la crise. Au-delà du lourd bilan humain qui ne cesse de s’alourdir, une crise économique de grande ampleur se profile et affectera la société pendant de nombreuses années. A ce stade (tandis que nous n’en sommes qu’au confinement et qu’il s’ensuivra un retour partiel à la liberté de mouvement), le soutien de l’Etat à l’économie se chiffre à 110 milliards d’euros. Aussi si des mesures alternatives au confinement avaient pu être mises en place avec efficacité, il est bien évident que la société aurait réalisé des économies tant de vies humaines que de dépenses de soutien par l’endettement.
En cas de crise d’inondation et notamment pour les crues des grands fleuves, parallèle qui nous occupe dans cette série, la mortalité est faible voire inexistante. Quoi que : une forte crue de la Seine priverait environ 5 millions de franciliens d’eau potable et la distribution alternative par citerne et/ou packs pendant 2 à 3 mois ne serait sans doute pas exhaustive de sorte que des dysenteries ou autres maladies sanitaires dues à la consommation d’eau souillée pourraient faire des victimes. Mais ce n’est pas notre propos ici.
Lorsqu’un aménageur souhaite réaliser un projet visant à réduire le risque, il doit procéder à une analyse coût bénéfice, intégrée à une analyse multicritères (AMC), visant à faire la démonstration qu’il est préférable pour la société de payer un investissement et en supporter chaque année le coût d’entretien, plutôt que de subir à long terme les préjudices des inondations. Le pétitionnaire doit donc comparer les coûts d’investissement et de fonctionnement sur la durée de vie de l’aménagement, au coût du dommage évité.
Si l’évaluation des coûts de dommage pour l’habitat ne fait pas débat, le coût à l’activité économique est, de notre point de vue, loin d’être simple à appréhender. Outre la perte de stock, d’outil de production et les dégâts au bâti (relativement simples à apprécier), l’entreprise s’arrête en général de fonctionner, plus ou moins longtemps, et va devoir mettre son personnel en chômage partiel le temps de pouvoir redémarrer — si elle redémarre.
Or la méthode que l’aménageur doit appliquer écarte l’ensemble de ces postes : la perte d’exploitation est réputée neutre pour la société car une entreprise concurrente est susceptible de récupérer le marché ; ou bien la relance de l’activité post-crue permettra de rattraper le retard. Et les personnels inscrits au chômage ? ce coût pour la société n’est pas évoqué dans la notice et donc pas pris en compte (voir notice ci-dessous, pages 102 et 103).
Et c’est bien tout le paradoxe avec la crise du Coronavirus : les sociétés ne subiront pas le moindre dommage ni aux stocks, ni aux outils de production, ni aux bâtis. Le coût économique ne sera que de la perte d’exploitation et du chômage (et indirectement de la perte de revenus pour les personnels au chômage) ; que l’Etat français se propose de soutenir, pour commencer, avec un chèque de 110 milliards d’euros.
Si un gestionnaire de crise éclairé proposait une alternative particulièrement efficace au confinement, mais qui aurait un coût d’investissement pour la société, l’application de la notice AMC du Commissariat général au développement durable (CGDD) conduirait à un rejet de cette idée puisque le bénéfice attendu serait de … zéro et la mesure ne serait pas "rentable".
En conclusion, nous voyons bien que les crises que nous traversons induisent un vaste panel de dégâts et la prise en compte de toutes les conséquences est nécessaire pour légitimer une démarche de prévention. Au trente-cinquième jour de confinement, passé le cap des 20 000 décès en France, qu’est-ce que nous aurions aimé avoir une mesure de prévention qui aurait pu éviter ne serait-ce qu’une partie de cette crise ! Qu’il aurait été fou de l’écarter au motif d’un calcul économique amputé de sa principale conséquence !
A l’heure où l’Entente Oise Aisne travaille à l’analyse coût-bénéfice de son projet phare de Longueil II, dont les perspectives sont d’abaisser la ligne d’eau en crue centennale d’une vingtaine de centimètres sur Creil, la justification économique qu’elle élabore ne manquera pas d’embarquer, fort de cette analogie, un volet économique élargi "hors notice". Et l’Entente le défendra ! Et si le CGDD, fort de cette expérience, amendait sa notice ?
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#1 : introduction